Depuis bientôt huit ans qu'elle règne sur l'Allemagne —et sur l'Europe—,
Angela Merkel fascine autant qu'elle agace les journalistes de son pays.
Dans
Angela Merkel. Die Zauder-Künstlerin (mot à mot «l'artiste de l'hésitation» – jeu de mots avec
Zauberkünstlerin, qui signifie illusionniste), Nikolaus Blome, directeur du bureau de Berlin du tabloïd Bild, brosse un portrait de la chancelière truffé d'anecdotes distrayantes et irrévérencieuses. La journaliste irlandaise Judy Dempsey, ex-correspondante à Berlin du Financial Times et de l'International Herald Tribune, livre avec
Das Phänomen Merkel (Le phénomène Merkel) un portrait plus académique de la femme politique.
Avec son essai
Mutter Blamage («Mère honte», clin d'oeil au personnage de Bertolt Brecht
Mère Courage), Stephan Hebel, journaliste politique au quotidien Frankfurter Rundschau, s'attaque de front à la politique libérale que mène Merkel, tandis que Stefan Cornelius, directeur du service étranger du quotidien bavarois Süddeutsche Zeitung, porte un œil bienveillant sur son sujet, qu'il raconte à travers le kaléidoscope de ses relations internationales dans
Angela Merkel. Die Kanzlerin und ihre Welt (La chancelière et son monde).
Volontiers polémique, le très documenté
Das erste Leben der Angela M. (La première vie d'Angela M.), signé des journalistes Ralf Georg Reuth et Günther Lachmann, fait lui la lumière sur le passé politique d'Angela Merkel en ex-RDA. Petite compilation de dix anecdotes tirées de ces cinq livres.
1.Elle est accro aux SMS
Angela Merkel passe ses journées à envoyer des dizaines de SMS à ses collaborateurs et à guetter leurs messages sur l'écran de son smartphone, toujours en mode silencieux. Elle est particulièrement accro au fil de dépêches par SMS —70 par jour en moyenne— que le service de presse du Bundestag envoie aux membres du gouvernement allemand.
La contacter par texto est d'ailleurs le meilleur moyen de la joindre, étant donné que sa messagerie vocale est désactivée depuis des années —par crainte de rater un message ou d'oublier d'y répondre— et que pour des raisons de sécurité elle n'envoie pas de mails. Elle n'a d'ailleurs pas d'ordinateur portable. Seule concession: un iPad, qu'elle utilise surtout pour consulter les sites d'actu et les cours de la Bourse.
2.Elle est fascinée par l'Amérique
La chancelière allemande entretient depuis l'adolescence une fascination pour les États-Unis, comme elle l'a expliqué en 2009 devant le Congrès américain:
«Qu'est-ce qui m'a passionné? Le rêve américain m'a passionnée —la possibilité qui est donnée à chacun d'avoir du succès, de faire son chemin grâce à ses propres efforts.»
Avant la chute du Mur, elle s'était toujours imaginée qu'elle ne pourrait s'y rendre que lorsqu'elle aurait 60 ans: il était quasi-impossible pour les citoyens de l'ex-Allemagne de l'Est de pouvoir voyager à l'Ouest, par peur qu'ils n'en profitent pour prendre la fuite. Ce n'était qu'une fois atteint l'âge de la retraite qu'il était possible de demander une autorisation de sortie du territoire.
Une fois le rideau de fer tombé, Angela Merkel s'est empressée de réaliser son rêve de jeunesse. À l'été 1990, elle se rend en vacances en Californie avec son compagnon, Joachim Sauer, avec qui elle n'était à l'époque pas encore mariée:
«Jamais nous n'oublierons la première fois où nous avons vu l'océan Pacifique. C'était tout simplement grandiose», se souvient-elle. Depuis qu'elle est au pouvoir, elle a pourtant dû renoncer au soleil californien, la distance et le décalage horaire avec l'Allemagne étant trop importants en cas d'urgence.
3.Elle est née en Allemagne de l'Ouest
Bien qu'elle soit souvent présentée comme étant la première «Ossie» (surnom péjoratif donné aux citoyens d'ex-RDA) à la tête de l'Allemagne réunifiée, Angela Merkel est née à Hambourg, dans l'Ouest de l'Allemagne. Mais à peine deux mois après sa naissance, elle est partie en Allemagne de l'Est avec sa mère pour y rejoindre son père, le pasteur Horst Kasner, qui venait d'être nommé dans une petite paroisse dans le Brandenbourg.
Le déménageur que Kasner avait embauché lui aurait alors dit qu'il n'y avait que deux sortes de gens qui partaient s'installer à l'Est,
«les communistes ou les vrais idiots». Des années plus tard, Horst Kasner a justifié son départ à l'Est en disant qu'il voulait servir l'Église, de la même façon qu'il serait parti en Afrique si on l'y avait envoyé.
4.Elle a la phobie des chiens
S'il y a une chose de laquelle elle a vraiment une peur maladive, ce n'est pas de l'orage, comme elle le prétendait au SZ Magazin en 2012, mais des chiens. Et ce au moins depuis qu'elle a été attaquée par le chien de chasse de son voisin en 1995, qui l'a mordue au genou alors qu'elle revenait d'une promenade à vélo dans les environs de sa maison de campagne près de la frontière polonaise.
Sa phobie des chiens est telle qu'à chacun de ses déplacements à l'étranger, son équipe prévient toujours ses hôtes qu'aucun chien ne doit se trouver dans le coin quand elle arrive. Une règle que tout le monde respecte, sauf Vladimir Poutine, avec qui elle entretient une relation très tendue.
En janvier 2007, il l'a invitée à lui rendre visite dans sa résidence d'été en Crimée. Alors qu'ils posaient à l'intérieur de la maison pour les photographes, la chienne de Poutine, Koni, a déboulé dans la pièce. Merkel a gardé son calme mais elle s'est soudain figée, sa peur était palpable. Avec un sourire en coin, Poutine lui a lancé, narquois:
«J'espère que le chien ne vous effraie pas.» L'année précédente, il lui avait offert un chien en peluche muni d'une laisse...
5.Elle était secrétaire en charge de l'agitation et de la propagande à la FDJ
Bien que ses parents ne l'aient pas poussée à intégrer les
pionniers quand elle est entrée à l'école, Angela Merkel a rejoint l'antichambre du mouvement de jeunesse Freie Deutsche Jugend de son propre chef dès la deuxième année de sa scolarité. Elle a intégré par la suite la FDJ et s'est impliquée activement dans l'organisation au cours de ses études universitaires, puisqu'elle a même occupé le poste de secrétaire en charge de l'agitation et de la propagande.
Un passé militant qu'Angela Merkel n'a jamais évoqué, prétendant au contraire avoir été une «marginale» en ex-RDA. Elle a toutefois, selon ses propres dires, refusé de coopérer avec la Stasi, prétextant aux deux hommes venus l'aborder dans la cage d'escalier alors qu'elle sortait d'un entretien d'embauche pour un poste de chercheur qu'elle était incapable de garder un secret.
6.Elle a appris le français
Lors des célébrations des 50 ans de la signature du Traité de l'Élysée début 2013, Angela Merkel n'a eu de cesse de répéter
qu'il était important que les jeunes apprennent la langue du partenaire historique de l'Allemagne, et qu'elle-même regrettait de ne pas pouvoir s'exprimer dans la langue de Molière.
Elle parle l'anglais et le russe, qui était sa matière préférée à l'école. Elle a pourtant aussi étudié le français dans sa jeunesse, jusqu'à que sa prof épouse un Canadien et réussisse à prendre la poudre d'escampette pour le rejoindre. Elle n'a jamais été remplacée.
7.Elle est entourée d'une équipe de «boys»
Bien que ses deux conseillers les plus proches soient des femmes, Angela Merkel a toujours aimé s'entourer de jeunes hommes à la carrière prometteuse. Est-ce sa façon à elle de renvoyer l'ascenseur, elle qu'on surnommait «la gamine de Kohl» à la Réunification, quand le chancelier la nomma ministre des Femmes et de la Jeunesse?
Quoiqu'il en soit, ses adversaires politiques ont eu tôt fait de surnommer son équipe masculine le «boygroup», par opposition à son «girls camp». Tous ses collaborateurs ont en commun d'être brillants sans pour autant lui faire de l'ombre. Parmi ses «boys» les plus connus, le charismatique Ulrich Wilhelm, son ancien porte-parole, qui a pris en 2011 la tête du Bayerischer Rundfunk, le service public audiovisuel bavarois, et son successeur, l'ancien journaliste télé Steffen Seibert.
8.Elle n'est pas propriétaire de son appartement
Contrairement à ses prédécesseurs, Angela Merkel a refusé d'emménager dans l'appartement de fonction réservé au chancelier, préférant rester dans le grand appartement qu'elle occupe avec son mari Joachim Sauer au cœur de Berlin, pile en face du Musée de Pergame, un des joyaux de l'île des musées. Et contrairement à ses prédécesseurs —et aux ministres français— elle est seulement locataire de cet appartement dans lequel elle a jusqu'ici toujours refusé de recevoir des journalistes.
9.Elle aime les physiciens
Angela Merkel est physicienne de métier. Titre de la thèse qu'elle a soutenue en 1986 avec mention «très bien»:
«Analyse du mécanisme des réactions de désintégration à rupture simple et calcul de leurs constantes de vitesse sur la base des méthodes de chimie quantique et des méthodes statistiques».
C'est durant ses études qu'elle a rencontré son premier amour, Ulrich Merkel, qu'elle épouse en 1977 dans la paroisse de son père. Ce mariage n'est pas heureux —Angela Merkel se plaint du tempérament «casanier» de son mari— et le couple se sépare cinq ans plus tard.
Angela Merkel tombera alors amoureuse d'un autre physicien, Joachim Sauer, son mari actuel, une sommité internationale dans le domaine de la chimie quantique. Elle ne l'épousera que des années après la chute du Mur, après qu'on lui ait reproché à maintes reprises de vivre en concubinage. Le couple se présentera seul le 30 décembre 1998 devant la mairie de Berlin-Mitte.
10.Il lui arrive parfois de perdre son sang-froid
Angela Merkel est connue pour son sang-froid à toute épreuve, son flegme, son côté «force tranquille». Sur son bureau trône d'ailleurs un petit dé argenté sur lequel est écrit une de ses devises:
«In der Ruhe liegt die Kraft», c'est dans le calme que réside la force.
Mais il lui arrive parfois de s'énerver —dans ce cas, elle ne peut pas s'empêcher de dire
«Scheiße» (merde) à tout bout de champ— et même de piquer des colères terribles, comme son ministre Philipp Rösler (FDP) en a pu faire les frais en 2012 après avoir déclaré qu'il soutenait la candidature de Joachim Gauck à la présidence de la République, contre l'avis de Merkel. Comme il l'a raconté sobrement à l'époque:
«La chancelière a été très bruyante.»
Annabelle Georgen